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Retrait américain d’Afghanistan :
victoire pour les talibans qui ont «
tenu tête à l’hyperpuissance qu’est
l’Amérique »
Hakim Saleck
© AP Photo
/ Allauddin Khan
Mercredi 4 mars 2020
Source :
Sputnik Célébré en grande
pompe le 29 février, l’accord
«historique» entre les États-Unis et les
talibans était censé ramener la paix en
Afghanistan, meurtri par 40 ans de
guerre. Résultat? Les combats ont repris
deux jours après. Pour Sputnik, René
Cagnat, ancien colonel et spécialiste de
l’Asie centrale, revient sur les
conséquences de cet accord.
19 ans après le
11 septembre, assistons-nous au
début de la fin de la guerre en
Afghanistan? Après plus d’un an et demi
et de négociations, Américains et
talibans sont parvenus à s’entendre sur
un accord qui garantit un retrait des
troupes étrangères d’Afghanistan, le
début de négociations de paix entre
Kaboul et les talibans et l’arrêt de
toute coopération talibane avec des
groupes terroristes.
C’est un marché qui
aurait pu mettre fin à la plus longue
guerre de l’histoire des États-Unis.
Rien que ça. Pourtant, la confrontation
entre le gouvernement de Kaboul et les
talibans, principale source de violences
en Afghanistan, est tout sauf réglée.
Preuve en est, une clause du traité
stipulait une trêve entre Kaboul et les
talibans: elle a
duré deux jours.
On peut donc
légitimement s’interroger sur la valeur
de cette paix signée et annoncée en
grande pompe. Est-elle uniquement
cosmétique? Quelles sont ses
implications locales et régionales?
Sputnik France a interrogé René Cagnat,
ancien colonel, spécialiste de l’Asie
centrale et auteur du livre «Le désert
et la source: djihad et contre-djihad en
Asie centrale», paru le 20 juin aux
éditions du Cerf. Selon lui, cette
entente scelle avant tout une victoire
quasi-totale pour les talibans.
«C’est une victoire
à 80%. Tout d’abord, c’est une victoire
sur les autres peuples et groupements
d’Afghanistan, car ils en tirent un
prestige énorme. C’est une simple
organisation qui a su tenir tête à l’hyperpuissance
qu’est l’Amérique, et a su s’imposer à
elle, malgré tous les moyens déployés,
notamment par Trump», explique René
Cagnat.
Réponse directe au
11 septembre, l’invasion de
l’Afghanistan a coûté aux États-Unis, à
la France et leurs alliés occidentaux,
des milliards de dollars en équipement
et des milliers de vies humaines. Pour
quels résultats?
19 ans de guerre
pour (presque) rien
Quelques progrès
diront les plus optimistes, mais rien de
très concret. Hormis l’intégration de
quelques filles dans les écoles, une
diversification agricole mineure, peu de
choses ont changé depuis 2001 en
Afghanistan. Au contraire, le pays vit
toujours dans une misère extrême, les
plus grandes villes ne sont, pour la
plupart, pas reliées par des routes, une
très grande partie de la population
observe encore un islam rigoriste, le
narcotrafic est encore une source de
revenus pour nombre d’habitants des
régions rurales,
la corruption est toujours rampante…
Selon René Cagnat,
sur cette misère, il existe un seul
terrain sur lequel talibans et
gouvernementaux pourraient s’entendre et
arriver à une paix superficielle:
«Avec
l’amoindrissement de la présence
américaine, les deux camps afghans
reprendront certainement leurs anciens
petits trafics, qui leur permettaient à
tous les deux de survivre
financièrement. Ce “bazar” va s’établir
autour des revenus liés au narcotrafic»,
souligne l’ancien militaire.
à supposer qu’un
tel modus vivendi tienne la distance, il
aurait de fâcheuses conséquences, bien
au-delà des frontières du pays:
«L’Afghanistan,
dans ce cas de figure, se transformerait
en narco-État, ce qui pourrait
d’ailleurs poser de très gros problèmes
au niveau régional. Cette situation est
clairement belligène. Ce qui à son tour,
va favoriser le trafic, car ce dernier a
besoin d’instabilité politique pour
exporter et exister», estime l’ancien
militaire.
Une paix qui
devrait faire gagner des voix à Donald
Trump dans sa course pour la
Présidentielle, mais qui n’arrange en
rien
la situation du pays, et ne
rembourse pas les milliards déjà
investis dans son hypothétique
développement.
Quel avenir pour
les relations entre talibans et
djihadistes?
Une des conditions
sine qua non du retrait américain est la
garantie talibane de ne plus entretenir
aucun contact avec les groupes
djihadistes (type Al-Qaeda*, Daech*…).
Une mesure, qui, selon René Cagnat, ne
devrait pas être un obstacle majeur dans
cet accord, du fait de la concurrence
que se livrent déjà ces groupes.
«L’entente est
difficilement envisageable entre Daech
et les talibans, et les Américains
comptent beaucoup là-dessus.
L’Afghanistan sera d’ailleurs
certainement le théâtre de conflits
entre Daech et les talibans, car ces
derniers considèrent l’Afghanistan comme
leur émirat, et ils ne veulent pas
partager ce gâteau», indique le
spécialiste.
Néanmoins,
l’expulsion des groupes djihadistes
d’Afghanistan par les talibans pourrait
avoir, là aussi, des conséquences
régionales dangereuses.
«Cela risque de
pousser Daech à l’extérieur de
l’Afghanistan, notamment vers le
Turkménistan, qui permet d’accéder à
l’Iran chiite, ennemi juré de tous les
salafistes, mais aussi vers le fragile
État du Tadjikistan. La “paix” que
viennent donc de signer Américains et
talibans est une fausse paix, qui ne
fait que repousser un certain nombre de
problèmes.»
* Organisation
terroriste interdite en Russie
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Publié le 5 mars 2020
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