Actualité
André
Bercoff : «Il y a pire que les "fake
news",
ce sont les "no news"»
RT
Un passant
devant un kiosque parisien
© Josep
Lago Source: AFP
Samedi 9 juin 2018
Source :
RT
Entre auto-censure
et indignation à géométrie variable, le
journaliste André Bercoff partage avec
RT France sa critique du journalisme
contemporain. Il évoque également ses
interrogations sur l'affaire Mamoudou
qui ont beaucoup fait réagir.
Lire aussi :
«Allons-nous interdire RT ? Il n'y a pas
d'autre sujet !» : la loi anti-fake news
devant l'Assemblée
RT : Vous
dénoncez régulièrement la frilosité de
nombreux journalistes qui ne
s'autorisent pas, selon vous, à penser
en dehors des schémas autorisés. A quoi
faites-vous référence ?
A l'heure où l'on
ne parle que de la loi contre les «fake
news», il me semble que le réel problème
est bel et bien celui de l'auto-censure.
Il s'agit d'une question qui est
d'ailleurs loin d'être nouvelle : il
suffit de se rappeler Georges Pompidou
ou l'ORTF sous contrôle gouvernemental
pour s'en convaincre.
La nouveauté réside
ailleurs : au problème de la censure
gouvernementale s'est ajouté celui de
ces nombreux lobbys ou associations qui
hurlent à la mort ou attaquent des
individus devant la XVIIe Chambre sitôt
que des propos leur déplaisent.
Certaines unes de Hara Kiri ou
les émissions de Michel Polac
passeraient aujourd'hui très
difficilement, à cause de cela même.
Or, paradoxalement,
certains propos ne suscitent aucune
indignation chez ceux-là même
d'ordinaire si prompts à s'indigner. Je
pense par exemple aux fameux «mâles
blancs», dont la présence a été jugée
trop importante dans l'audiovisuel
public par la ministre de la Culture
François Nyssen, sans qu'aucune
association ne s'en émeuve. Il s'agit
pourtant au bas mot d'une discrimination
à l'encontre des hommes et des blancs...
Songez qu'Emmanuel Macron, le président
de la République lui-même, a également
employé ce vocable. Que des personnages
aussi importants disent cela sans que la
presse s'interroge et réagisse, voilà
qui pose de nombreuses questions.
RT : Vous
regrettez une tendance de l'indignation
à tout-va, et pourtant vous regrettez
que les journalistes ne s'indignent pas
assez...
Les journalistes
doivent avant tout être des lanceurs
d'alerte. Qu'est-ce que cela signifie ?
Tout simplement de «porter la plume dans
la plaie», pour paraphraser Albert
Londres. Lorsque Emile Zola publie J'accuse,
il subit des attaques de tous côtés. On
lui reproche bel et bien d'oser remettre
en cause la version officielle soutenue
par l'armée, celle de la culpabilité du
capitaine Dreyfus. On lui reproche
d'oser poser des questions. Voilà, pour
moi, le plus bel exemple de journalisme
: Zola osant défier la version
officielle pour poser des questions.
Les journalistes
doivent avant tout être des lanceurs
d'alerte
C'est parce que des
journalistes ont osé remettre en
question des faits considérés comme
avérés que nous avons appris la vérité
sur l'affaire des charniers de Timisoara
en Roumanie, sur la profanation du
cimetière juif de Carpentras, sur les
échantillons de Colin Powell à l'ONU...
Je pourrais multiplier les exemples. Ces
journalistes ont d'autant plus joué leur
rôle qu'il leur a fallu du courage.
Remettre en question les versions
officielles de ces trois affaires
impliquait, à l'époque, de se faire
traiter respectivement de pro-dictature,
d'antisémite ou de suppôt de Saddam
Hussein.
Lire aussi
:
L'avocate Delphine Meillet juge la loi
anti-fake news «inutile»
RT : Pensez-vous
vraiment que la critique des propos de
Françoise Nyssen et Emmanuel Macron, qui
relève finalement de l'opinion, soit
comparable à une enquête sur des
massacres ou des preuves d'armes
chimiques, relevant des faits ?
Les déclarations et
les faits sont bien évidemment des
choses différentes mais les mots sont
aussi porteurs de symboles. Ils ne sont
pas moins importants que les faits. Et,
du point de vue du journaliste,
l'attitude à adopter doit être
rigoureusement identique, qu'il s'agisse
d'une parole ou d'un fait : nommer les
choses. Si Françoise Nyssen avait
déploré qu'il y ait trop de mâles noirs
en équipe de France, ses propos auraient
légitimement été qualifiés de racistes
par la presse. Et heureusement. En
n'appliquant pas le même traitement à sa
sortie sur les «mâles blancs», les
journalistes ne font plus leur travail.
Il n'y a pour moi
rien de plus insupportable que
l'indignation à géométrie variable. Il
n'y a pas de bonnes victimes et de
mauvaises victimes, pas plus qu'il n'y a
de bons ou de mauvais coupables. Le
journaliste n'a pas à choisir, selon sa
préférence politique, qui est autorisé
ou non à tenir des propos. Si ces propos
sont racistes, ils sont racistes, un
point c'est tout.
RT : Comment
expliquer cette attitude des
journalistes. Vous qui exercez ce métier
depuis de nombreuses années, quelles
raisons vous semblent expliquer cette
mentalité frileuse ?
C'est une vaste
question. Commençons déjà par
rappeler l'évidence : il ne faut pas
généraliser. Certains journalistes font
très bien leur métier et ne se posent
aucune barrière. Mais le fait que les
journaux soient regroupés en gros
consortium aux mains de certains
milliardaires, autant que des
connivences personnelles entre
politiques et journalistes, influence
très certainement l'indépendance de ces
derniers, et pas dans le bon sens.
Il semble en outre
que les journalistes contemporains en
soient venus à croire qu'ils devaient
avoir réponse à tout. Or, leur rôle est
d'avoir question à tout. C'est
précisément pour cette raison que la
loi «fake news» est absurde. Du temps de
Galilée, la Terre était plate. En 14-18,
les Allemands dévoraient les enfants.
Aucune remise en cause n'était admise.
De ce point de vue, cette loi, que l'on
peut qualifier de partiellement
liberticide, aggravera encore davantage
la tendance actuelle à l'auto-censure.
Ajoutez à cela le mot balise
de «racisme» qui plane au-dessus de la
tête de tout journaliste traitant de
sujets sensibles, comme celui
du scandale pédophile de Telford...
Bien évidemment.
Certes, les réseaux sociaux charrient le
meilleur comme le pire : mais
heureusement ! C'est précisément cela
qui permet de faire le tri. S'il y a
des «fake news», et bien que l'on se
batte contre elles, qu'on leur oppose
des faits et des arguments ! Là encore,
c'est le travail de journaliste qui est
en jeu. Aucun journaliste digne de ce
nom ne peut souhaiter que l'on interdise
à des informations de circuler.
Je vais vous dire
le fond de ma pensée : il y a pire que
les «fake news», ce sont les «no news»,
c'est à dire de taire certains sujets.
C'est précisément ce que fait la presse
lorsqu'elle choisit délibérément
d'ignorer certains sujets, parce qu'ils
dérangent tel ou tel camp politique. Que
les réseaux sociaux poussent les
journalistes à faire leur métier, voilà
une très bonne chose.
RT : La vidéo de
Mamoudou, ce jeune migrant ayant sauvé
un enfant suspendu à un balcon, vous a
poussé à formuler des interrogations sur
plusieurs éléments au sujet desquels
vous vous posez des questions. Vous
dites qu'on vous reproche d'avoir posé
des questions. Mais il y a une
différence entre poser des questions et
le travail de journaliste, qui consiste
à poser des questions... et à fournir
des éléments.
Le raisonnement qui
consiste à dire : «Vous voulez poser des
questions, mais si vous n'avez pas fait
l'enquête et n'avez pas les réponses,
alors ne posez pas de questions» n'a
aucun sens. J'ai posé des questions en
ma qualité de journaliste et de citoyen.
C'est mon droit, et je le revendique. Je
n'ai jamais affirmé quoi que ce soit :
ni qu'il s'agisse d'un complot, ni que
ce soit un coup monté. Je me suis en
revanche interrogé sur des éléments à
propos desquels on ne peut pas, à mon
sens, se contenter de dire : «Fermez la
parenthèse, il n'y a rien à voir !»
Qu'on m'explique
qu'il n'y a aucune interrogation à avoir
après qu'un enfant soit tombé d'un
balcon en se raccrochant à un autre en
n'étant que légèrement blessé, qu'il n'y
a aucune interrogation à avoir sur le
voisin... Cela me dérange. Si tout cela
est vrai, alors tant mieux. Je dirai
«bravo» et ne regretterai pas une minute
d'avoir posé des questions.
Si j'étais
rédacteur en chef d'un journal, j'aurais
immédiatement mis une équipe sur le
coup. Si elle m'avait rapporté des
éléments concrets démontrant que les
faits se sont produits comme on le
raconte, et que tout est logique,
j'aurais été le premier à les féliciter
pour la qualité de leur travail. Et
inversement s'il s'avérait que mes
doutes étaient confirmés.
En revanche, que
l'on m'accuse de complotisme en me
déniant le droit de poser des
questions... Cela m'a véritablement
étonné. Et lorsque je vois le nombre de
gens qui me font part, sur les réseaux
sociaux, de leur satisfaction après que
j'ai osé m'interroger, cela me conforte
dans l'idée que mes questions sont
légitimes. Comment de simples questions
peuvent-elles susciter de telles
réactions de la part des journalistes,
dont le métier est précisément de douter
et d'enquêter ? Si le journaliste n'est
qu'un éditorialiste, alors il ne faut
pas s'étonner que la presse soit en
train de mourir.
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