Des documents
présentés par Mediapart comme des
«notes» rédigées par des hauts gradés de
la gendarmerie et de compagnies
républicaines de sécurité (CRS)
contestent la légalité des ordres donnés
par le préfet de Police, Didier
Lallement.
Dans une enquête publiée le 7
mars,
Mediapart met en lumière une série
de notes attribuées aux plus hauts
gradés de la gendarmerie nationale et de
compagnies républicaines de sécurité
(CRS). Ces notes soulignant «des
pratiques contraires à la législation
ainsi qu'à la réglementation» et «des
emplois disproportionnés de la force
ordonnée par le préfet Didier Lallement»,
auraient été rédigées en septembre 2019,
soit six mois après la nomination
l'ancien préfet de Gironde à la tête de
la préfecture de police de Paris.
Auteur: RT France
Ces documents internes, portant sur
«l’emploi de la gendarmerie mobile au
maintien de l'ordre au profit de la
préfecture de police», recensent plus
précisément les directives données par
la préfecture de Paris en amont des
manifestations, mais également leur
application sur le terrain.
Des
pratiques «légalement douteuses»
Parmi
les directives controversées, figurerait
celle exigeant des membres des forces de
l'ordre d'«impacter les groupes» lors
des manifestations. Evoquée le 20
septembre 2019, au siège même de la
préfecture de police de Paris, la
directive n'a guère trouvé l'approbation
des responsables de la gendarmerie
déployés sur le terrain.
«Ils décrivent
ces ordres d'aller au contact des
manifestants sans nécessité apparente
comme "volontairement dérogatoires aux
dispositions des articles L 211-9 et au
R 211-13 du CSI [code de sécurité
intérieure]", selon lesquelles l’emploi
de la force ne l’est qu’en absolue
nécessité et la force déployée doit
alors être proportionnée au trouble à
faire cesser», relate Mediapart. Ils
qualifient ces méthodes de «légalement
douteuses et aux conséquences politiques
potentiellement néfastes» mais également
«contraires à la législation ainsi qu’à
la réglementation en vigueur».
« A
plusieurs reprises, la PP [préfecture de
police] a ordonné
des manœuvres
d'encagement, consistant à fixer
l’adversaire.
Ceci contrevient aux
dispositions légales et réglementaires.
»
Pour autant, malgré
cette défiance vis-à-vis de ces
directives émanant de la plus haute
hiérarchie, elles auraient été
appliquées lors de l'acte 45 des Gilets
jaunes et de la marche pour le climat :
il a été «constaté des emplois
disproportionnés de la force, conformes
aux directives de la veille»,
apprend-t-on dans l'un des documents. «A
plusieurs reprises, la PP [préfecture de
police] a ordonné des manœuvres
d’encagement [de nasses], consistant à
fixer l’adversaire. Ceci contrevient aux
dispositions légales et réglementaires»,
y affirme-t-on par ailleurs.
Cette
technique de maintien de l'ordre,
utilisée lors de nombreuses
manifestations, fait l'objet de vives
critiques au sein de la gendarmerie.
Rappelant que «dans toute opération de
maintien, l’ordre est de laisser une
échappatoire à l’adversaire», une source
proche du dossier citée par Mediapart
relève que ce procédé ne permet aucune
issue aux manifestants alors que «les
grenades de gaz lacrymogènes y sont
souvent massivement utilisées». Un
constat qui vient contredire un
télégramme du ministère de l'intérieur
date du 13 septembre 2019. Dans
celui-ci, la place Beauvau rappelle
«qu'il est nécessaire de préserver pour
les manifestants des "itinéraires de
dispersion ou d’échappement"».
Désobéir
aux ordres pour «éviter un accident»
Un
autre document rédigé par un capitaine
en charge d’un escadron de gendarmerie
mobile, met en avant la dangerosité de
cette technique : en effet, le 15
octobre 2019 à Paris, lors d'une
mobilisation des pompiers, des
manifestants qui demandaient «calmement
de pouvoir quitter les lieux» ont été
bloqués sur le pont de la Concorde d'un
côté par les gendarmes et de l'autre par
une unité de police. Incommodés par les
tirs de gaz lacrymogènes et ne pouvant
quitter les lieux, «certains individus
[ont commencé] à enjamber la rambarde du
pont pour contourner le barrage se
mettant ainsi en danger au dessus-de la
Seine».
Pour «éviter un accident», le
capitaine d'escadron aurait, selon le
site d'investigation, décidé de ne pas
se conformer aux ordres de la préfecture
en les escortant «jusqu'au métro».
Didier Lallement sous le feu des
critiques de la classe politique
La
publication de cette enquête intervient
alors que le préfet de police de Paris
fait l'objet de vives critiques de la
classe politique sur sa gestion
sécuritaire des manifestations. La
France Insoumise (LFI), le Parti
socialiste (PS) mais aussi le
Rassemblement national (RN) : tous
avaient appelé à la démission du préfet
de police de Paris, pointé du doigt
après de
nouvelles accusations de
violences policières lors de
manifestations dans la capitale.
«Je mets en cause
le préfet de police de Paris, les choix
qui ont été faits par lui en matière de
maintien de l'ordre sont des choix qui,
évidemment, ont poussé à l'aggravation
des tensions et des violences», avait
déclaré Marine Le Pen sur le plateau de
l'émission de France 3 Dimanche en
politique, le 19 janvier. Dix jours
auparavant, le patron du PS Olivier
Faure avait, quant à lui, appelé à la
démission du préfet controversé. «J'ai
du mal à saisir pourquoi ce gouvernement
continue à conforter ce préfet qui,
semaine après semaine, est une véritable
provocation pour l'ensemble de ceux qui,
démocratiquement, défendent une autre
position», avait-il déclaré au
Figaro.
Même son de cloche du côté des Insoumis.
Après
les violences survenues le 16
novembre sur la place d'Italie à Paris
pour l'anniversaire des Gilets jaunes en
novembre 2019, La France insoumise avait
mis en cause le représentant de l'Etat
dans la capitale. Son chef de file,
Jean-Luc Mélenchon, avait accusé le 17
novembre Didier Lallement d'être
responsable de l'envenimement de la
situation, en ayant ordonné le départ de
la manifestation parisienne des Gilets
jaunes au niveau de la place d'Italie,
alors que celle-ci était en travaux.
Cette caractéristique du lieu, selon le
député de Marseille, avait facilité la
casse et les débordements. «Même le
maire de l'arrondissement a trouvé que
ce n'était pas le bon endroit [...] Le
préfet de police a été nul dans cette
affaire. Il a lui-même créé les
conditions du débordement», avait-il
alors estimé.
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