BDS 34
Chaque goutte de sang répandue est de la
responsabilité de ceux qui perpétuent
l’occupation – et de ceux dont le
silence rend possible le statu quo
Orly Noy
Une mère pleure son
fils tué, dans l’hôpital de Beit Lahia,
à Gaza, le 12 novembre (AFP)
Dimanche 24 novembre 2019
Une fois le calme
rétabli dans les villes israéliennes
après l’attaque ciblée mortelle sur Gaza
au début de ce mois et les missiles
lancés en réponse, les citoyens
israéliens sont rapidement retournés à
leur routine. Les acteurs
politiques et les media ont aussi connu
un retour à la normale jusqu’à la
nausée : la plongée dans l’éternel
marais politique, l’impossibilité de
former un gouvernement et la provocation
vis-à-vis des citoyens palestiniens du
pays. Gaza, comme d’habitude, va
désormais disparaître de la conscience
publique en Israël jusqu’au prochain
lancer de missile.
Dans la très
malmenée bande de Gaza, la vie est aussi
retournée à sa routine : après avoir
enterré les victimes du dernier
massacre, dont des femmes et des
enfants, les Palestiniens peuvent
maintenant trouver le temps de dégager
les nouvelles décombres, dans une
pauvreté qui s’aggrave encore, tout en
attendant le prochain massacre. Et il
viendra – nous savons qu’il viendra. La
tuerie massive de Palestiniens de Gaza
s’est de plus en plus normalisée.
Humiliés et
dépossédés
Mais si l’on admet
que ce destin n’est pas inévitable et
que le peuple palestinien n’a pas été
créé pour être opprimé, humilié,
dépossédé et réduit au silence par
Israël, comment les Palestiniens
peuvent-ils résister à cette oppression,
qui dure depuis des décennies ? Peut-on
faire quelque chose pour empêcher le
prochain massacre des Palestiniens ?
Vous direz
peut-être qu‘il faudrait conduire des
négociations dans un effort pour mettre
fin au « conflit ». Il y a de quoi
éclater d’un rire amer avant même de
finir cette phrase. Attend-t-on des
Palestiniens qu’ils aient confiance en
une médiation juste de la part de la
Maison Blanche dont le dirigeant endosse
pleinement toutes les injustices
qu’Israël accumule dans les territoires
occupés ?
Attend-t-on d’eux
qu’ils aient confiance en les bonnes
intentions d’Israël, quand un premier
ministre bien plus modéré que l’actuel
leur a vendu le mensonge d’Oslo et a
ensuite doublé le nombre de colonies
israéliennes en Cisjordanie, tout en
conduisant des négociations – lui qui
fut, à cause du suivant, assassiné par
la suite ?
Ou bien vous direz
peut-être qu’ils devraient s’engager
dans des manifestations populaires.
Voulez-vous parler de celles au cours
desquelles le photojournaliste Muhad
Amarba a reçu des coups de feu qui lui
ont fait perdre un œil parce qu’il
documentait une manifestation
d’habitants de Surif près de Hebron,
contre la prise par des colons des
terres de leur village ? Ou des
manifestations hebdomadaires du quartier
de Sheikh Jarrah de Jérusalem Est
occupée, pendant lesquelles des
manifestants ont été frappés et arrêtés
pour avoir brandi le drapeau palestinien
– un acte qui n’est même pas légalement
proscrit en Israël en dépit de toutes
ses lois racistes ?
La complicité
internationale
Vous direz
peut-être : et des manifestations de
masse ? Voulez-vous dire par là des
manifestations comme la Grande Marche du
Retour, que des habitants de Gaza guidés
par le désespoir mènent depuis plus d’un
an et demi maintenant, tous les
vendredi, devant la barrière qui sépare
Gaza d’Israël ? Ces manifestations ont
déjà coûté la vie de centaines de
participants et en ont blessé bien
davantage, alors que les gens protestent
contre la vie de souffrance qu’Israël a
décrété devoir être la leur au sein de
la bande de Gaza assiégée.
Ou vous suggèrerez
peut-être de faire appel à la communauté
internationale ! Voulez-vous parler de
la communauté internationale qui, dans
le meilleur scénario, assiste dans la
plus grande indifférence à la mort du
peuple palestinien – ou, de façon plus
routinière, coopère activement à ce
processus en armant et en finançant
Israël et en mettant son veto même au
geste le plus symbolique contre
l’injustice ainsi causée ?
Soldats israéliens
marchant à côté de véhicules blindés
près de Gaza, le 13 novembre (AFP)
C’est bien la même
communauté internationale dont l’acte le
plus remarquable contre la dépossession
des Palestiniens a été de contrecarrer –
temporairement à ce jour – l’expulsion
des habitants de Khan al-Ahmar, tout en
restant aveugle au nettoyage ethnique
croissant mené par Israël dans la vallée
du Jourdain.
Ou vous diriez
peut-être que les Palestiniens
pourraient mener une lutte non-violente
en faisant en sorte qu’une pression
économique pèse sur Israël pour qu’il
mette fin à l’occupation. Voulez-vous
parler de la campagne de boycott,
désinvestissement et sanctions
(BDS) qu’Israël a réussi à caractériser
d’antisémite – remportant un tel succès
avec cette étiquette que même des
cercles progressistes condamnent le
travail des militants comme illégitime ?
Le déséquilibre
du pouvoir
La seule réponse
légitime à la question de comment les
Palestiniens devraient lutter contre
l’oppression de leur peuple est ceci :
de toutes les façons qu’ils estiment
appropriée. Le monde est resté planté à
regarder depuis plus d’un demi siècle,
ne faisant pratiquement rien pour
arrêter l’écrasement du peuple
palestinien par Israël. Le monde a perdu
le droit moral de critiquer les méthodes
choisies par les Palestiniens.
Quand les citoyens
israéliens choisissent – encore et
encore, via leur direction politique
dument élue – d’intensifier
l’oppression, ils perdent le droit moral
de dire aux Palestiniens comment mener
leur lutte de libération.
Quand les relations
de pouvoir entre les deux côtés sont si
radicalement asymétriques qu’elles
permettent à Israël de faire tout ce
qu’il veut de la terre palestinienne, de
la propriété palestinienne et des corps
palestiniens, le jugement moral
ordinaire perd son sens.
Quand Israël
utilise abondamment tous les moyens
possibles pour contrecarrer la
résistance non-violente ; quand les
forces israéliennes lourdement armées
considèrent qu’un enfant palestinien se
saisissant d’une paire de ciseaux est un
« terroriste » méritant d’être exécuté ;
quand même l’acte le plus symbolique de
résistance palestinienne, comme le
lancement de cerfs-volants enflammés
depuis une Gaza assiégée et mourante,
par delà les murs vers le territoire
israélien, est appelé acte terroriste
porteur d’une menace existentielle sur
Israël ; quand la détermination des
Palestiniens à survivre sur leur propre
terre est régulièrement broyée par le
nettoyage ethnique et les expulsions,
alors la moralité au nom de laquelle le
monde prêche aux Palestiniens perd tout
son sens.
Le fossé de
proportionnalité
De janvier 2009 à
la fin octobre 2019, la décennie a vu
les forces israéliennes tuer plus de 3
400 Palestiniens en Cisjordanie et à
Gaza, sans compter les victimes du plus
récent massacre à Gaza. Il n’y a pas de
moralité où que ce soit qui exigerait
des Palestiniens de s’asseoir
simplement, les mains jointes, tandis
que l’horrible destruction de leur
peuple est proche de sa réalisation.
Ceux qui souhaitent
imposer des principes moraux normatifs
dans une réalité où rien n’est normal
devraient aspirer à fournir aux
Palestiniens les mêmes moyens militaires
que ceux dont dispose Israël – et alors,
avec une armée face à une armée, chacune
dotée d’une technologie et de capacités
de renseignement symétriques, nous
pourrions réclamer que les deux côtés
soient jugés par le même critère moral.
Alors peut-être les
Palestiniens pourraient répondre dans
une « proportion raisonnable » après
l’assassinat d’un homme armé et de sa
femme, par un assassinat parallèle d’un
dirigeant militaire israélien et de sa
femme, au lieu de lancer des missiles
visant des villages israéliens (qui,
heureusement, n’ont blessé personne).
Mieux, même, ils
pourraient agir pour mettre fin à la
violente occupation illégale et létale
imposée aux Palestiniens depuis des
décennies – avant le prochain massacre à
Gaza. Mais en attendant, chaque goutte
de sang versée de part et d’autre de la
barricade est de la responsabilité des
gens qui perpétuent l’occupation et des
gens dont le silence indigne leur permet
de le faire.
Les points de
vue exprimés dans cet article sont ceux
de l’auteure et ne reflètent pas
nécessairement la politique éditoriale
de Middle East Eye
Orly Noy est
journaliste et militante politique de
Jérusalem.
https://www.middleeasteye.net/opinion/can-anything-be-done-prevent-next-massacre-palestinians?fbclid=IwAR13ebyxET8heH_qX3OuFojABef4-K4maWP8pUS62lFaSztcnwRYn_mvFek
Traduction SF pour
la Campagne BDS France Montpellier
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